Traduction
Les traducteurs de poésie et la voix vernaculaire régionale: Les sonnets romanesco de Belli en anglais et en écossais

Francis R. Jones
Université de Newcastle | Étudiante Université de Namur
Traduit par Charlotte Englebert
Université de Newcastle | Étudiante Université de Namur
Résumé

Cette étude examine la manière dont les traducteurs de poésie abordent la voix régionale source dans le cadre de leur approche générale au texte poétique. Elle analyse onze ‘productions’ de traductions écossaises et anglaises des sonnets de Giuseppe Belli en langue régionale du 19ème siècle, lesquels se situent dans la classe ouvrière romaine. Chaque production a été codée en fonction de la voix (indications de l’espace, de la communauté, du ton), de l’espace du monde textuel et de la forme poétique (rime, rythme), puis analysée quantitativement et qualitativement ; des entretiens avec les traducteurs et les commentaires écrits de ceux-ci ont fourni des données supplémentaires. Les traducteurs variaient sur une échelle (apparemment spécifique au genre) entre deux extrêmes : (1) ceux qui ‘relocalisent’ la voix dans une langue ou un dialecte régional cible avec des traits informels et prolétariens similaires aux originaux de Belli, tout en relocalisant les noms de lieux et de personnes à l’aide d’analogues du pays cible, et recréant la rime et le rythme ; (2) ceux qui traduisent vers l’anglais standard (suprarégional, littéraire/dénotant un certain niveau d’instruction, neutre à formel), tout en préservant le cadre romain de Belli, mais en remplaçant la rime et le rythme par du vers libre. Ceci fait ressortir une échelle entre deux priorités : (1) transmettre la texture poétique avec créativité ; (2) reproduire la sémantique superficielle.

Mots clés :
Table des matières

1.Introduction

1.1Traduire les voix régionales en poésie

Les poèmes sont des textes « symboliques, multiplex, polysémiques » qui exploitent le potentiel du langage à communiquer des messages riches ou subtiles (Jakobson [1960] 1988, 49Jakobson, Roman (1960) 1988 “Linguistics and Poetics.” In Modern Criticism and Theory, ed. by David Lodge, 32–61. Harlow: Longman.Google Scholar ; Matterson et Jones 2000, 13Matterson, Stephen, and Darryl Jones 2000 Studying Poetry . London: Arnold.Google Scholar). D’où la complexité de traduire des poèmes, d’autant plus que la plupart des traducteurs de poésie sont guidés par un double objectif : écrire un poème acceptable dans une langue cible qui, en outre, « corresponde à l’original » suffisamment pour qu’il « puisse être considéré comme une traduction » (Holmes 1988, 50Holmes, James S 1988 Translated! Papers on Literary Translation and Translation Studies . Amsterdam: Rodopi.Google Scholar ; Jones 2011, 100–101Jones, Francis R. 2011 Poetry Translating as Expert Action . Amsterdam: John Benjamins.Google Scholar). Les défis que cela implique pour traduire des poèmes avec des rimes et un mètre régulier ont souvent été discutés. Cependant, la manière dont les traducteurs de poésie abordent la voix, la « présence de l’auteur, du narrateur ou du traducteur » (Munday 2006, 21–22Munday, Jeremy 2006“Style in Audiovisual Translation.” In Translating Voices, Translating Regions, ed. by Nigel Armstrong, and Federico M. Federici, 22–36. Rome: Aracne.Google Scholar) typiquement manifestée via le style ou les « choix » qu’un écrivain fait entre « les manières alternatives de rendre le même sujet » (Leech and Short 2007, 31Leech, Geoffrey, and Mick Short 2007 Style in Fiction . 2nd ed. Harlow: Pearson Education.Google Scholar) est moins souvent examinée. La manière dont les traducteurs de poésie abordent la voix régionale est encore moins explorée.

En littérature, la voix régionale associe ses intervenants, ‘l’auteur implicite’ (la persona de l’auteur dans le texte, cf. Stockwell 2002, 42–43Stockwell, Peter 2002 Cognitive Poetics: An Introduction . London: Routledge.Google Scholar), le narrateur ou les personnages, à un emplacement géographique au moyen d’un accent, vocabulaire et/ou grammaire spécifique à cet endroit. Quand Tony Harrison écrit « So right, yer buggers then! We’ll occupy / your lousy leasehold Poetry » [« Allez, vous bande de salauds ! Nous occuperons votre sale propriété Poésie »] ([1984] 1987, 123) par exemple, la phonologie (« yer » [‘vous’]) et le vocabulaire (« buggers » [‘salauds’] en tant qu’une expression de méfiance ironique plutôt qu’une insulte) indiquent que l’auteur implicite est de Yorkshire. Ces liens sont inhérents à la langue. Seul l’italien a une voix traditionnellement reliée à Rome par exemple. Alors comment devrait-on traduire cette voix en anglais ? L’anglais romain n’existe pas ; le Cockney relie conventionnellement ses locuteurs à Londres, pas à Rome ; et l’anglais standard ne les relie conventionnellement à aucun emplacement géographique. D’où la difficulté bien connue de traduire les voix littéraires régionales, comme le montrent des recherches basées sur la prose et le théâtre (telles que présentées ci-dessous). En outre, les traducteurs de poésie ne sont pas supposés suivre des orientations similaires envers des relations de source à cible comme les traducteurs de prose et de théâtre parce que des caractéristiques spécifiques au genre peuvent affecter des décisions en rapport avec la voix régionale.

Par conséquent, cet article analyse la manière dont les traducteurs de poésie abordent la voix régionale source et la raison pour laquelle ils le font. L’analyse implique l’étude de la manière dont la voix régionale peut indiquer non seulement l’appartenance géographique des locuteurs, mais aussi leur statut social et le registre de l’interaction (Määttä 2004, 320Määttä, Simo K 2004“Dialect and Point of View: The Ideology of Translation in The Sound and the Fury in French.” Target 16 (2): 319–339. DOI logoGoogle Scholar ; Ramos Pinto 2009, 290–291Ramos Pinto, Sara 2009“How Important Is the Way You Say It? A Discussion on the Translation of Linguistic Varieties.” Target 21 (2): 289–307. DOI logoGoogle Scholar). Il examine aussi la manière dont la voix régionale pourrait interagir avec deux caractéristiques communicatives de la poésie, qui ont été identifiées par des recherches préliminaires comme potentiellement pertinentes :

  1. la manière dont un poème crée, en relativement peu de mots, un ‘monde textuel’ interne, riche en détails avec des endroits, événements et personnages (Stockwell 2002, 137Stockwell, Peter 2002 Cognitive Poetics: An Introduction . London: Routledge.Google Scholarff) avec une vive force émotive et intellectuelle ;

  2. la forme poétique : ici, la rime et le rythme.

Plus globalement, cet article devrait rendre plus compréhensible la manière dont les traducteurs abordent les poèmes en tant qu’actes de communication multiplex et enrichir les modèles existants de traduction de la voix littéraire régionale.

1.2Les sonnets en romanesco de Belli

Afin de tirer des conclusions généralisables sur les approches des traducteurs, plusieurs sources de données sont nécessaires. L’idéal serait d’utiliser des études de cas (pour faire des recherches sur des cas complexes tirés de la vie réelle dans leur contexte ; cf. Yin 1993, 34Yin, Robert K 1993 Applications of Case Study Research . London: Sage.Google Scholar) de plusieurs écrivains sources (pour couvrir une gamme d’objectifs différents de textes sources ; cf. Susam-Sarajeva 2001Susam-Sarajeva, Sebnem 2001“Is One Case Always Enough?” Perspectives: Studies in Translatogy 9 (3): 167–176.Google Scholar), chacun d’entre eux ‘intégrant’ plusieurs productions de traducteurs (pour voir la manière dont les différentes traductions varient entre elles ; cf. Ellinger et al. 2009, 337, 339Ellinger, Andrea D., Karen E. Watkins, and Victoria J. Marsick 2009“Case Study Research Methods.” In Research in Organizations: Foundations and Methods of Inquiry, ed. by Richard A. Swanson, and Elwood F. Holton, 327–346. San Francisco: Berrett-Koehler.Google Scholar). Cet article fait le premier pas en présentant le cas imbriqué de plusieurs traducteurs qui ont travaillé sur un ensemble de poèmes contenant une voix régionale : les Sonetti romaneschi de Giuseppe Gioachino Belli.

Ces Sonetti (rassemblés dans Belli 2007b 2007b Tutti I Sonetti Romaneschi , ed. by Marcello Teodoni. http://​www​.intratext​.com​/IXT​/ITA1554/. Accessed December 15 2012.) regroupent 2279 sonnets, écrits entre 1828 et 1849. À présent considérés comme un « sommet » de la littérature romantique italienne (Gibellini 1978, IX, LXV-XCIVGibellini, Pietro 1978“Giuseppe Gioachino Belli, Romano [Giuseppe Gioachino Belli, Roman]; Cronologia [Chronology].” In Sonetti , ed. by Pietro Gibellini, vii–xciv. Milan: Monadori.Google Scholar), ils ne sont pas écrits dans le style italien habituel en poésie, mais en romanesco. ‘Romanesco’ désigne normalement la variante géographique de l’italien basée à Rome (Briguglia 2011, 111Briguglia, Caterina 2011“Comparing Two Polysystems: The Cases of Spanish and Catalan Versions of Andrea Camilleri’s Il Cane De Terracotta.” In Translating Dialects and Languages of Minorities, ed. by Federico M. Federici, 109–125. Berne: Peter Lang.Google Scholar) ; dans cet article, le terme renvoie à la voix littéraire que Belli a donnée aux pauvres du quartier Trastevere de Rome qui racontent et peuplent ses poèmes. La plupart des poèmes ont lieu dans et aux alentours de Rome, bien que certains reprennent des histoires bibliques. D’humeur satirique, grivoise ou sentimentale, beaucoup d’entre eux montrent de la compassion pour les pauvres et les plus démunis – comme le jeune narrateur de La Bbona Famijja (‘La Bonne Famille’ faisant allusion à ‘la Sainte Famille’ : Figure 1). Au niveau de la forme, ce sont des sonnets pétrarquistes : des poèmes de 14 vers au rythme complet écrits selon le mètre à onze syllabes endecasillabo.

Figure 1.

La bbona famijja (Belli 2007b, no. 288 2007b Tutti I Sonetti Romaneschi , ed. by Marcello Teodoni. http://​www​.intratext​.com​/IXT​/ITA1554/. Accessed December 15 2012.) et traduction littérale en français

Figure 1.

Des fouilles bibliographiques et sur internet ont identifié douze traducteurs qui ont publié des sonnets de Belli en anglais ou en écossais, onze d’entre eux depuis 1960, fournissant une riche documentation pour la recherche de traductions de poésie avec une voix régionale. Avant de voir en détails le recueillement des données et les méthodes d’analyse (Section 2), je présente les concepts clés et les résultats des recherches dans trois domaines : la traduction de poésie en tant que communication, les variétés de langue et la traduction de voix spécifique à une région.

1.3Lire et traduire de la poésie

Le modèle ‘cognitif-pragmatique’ qui guide cette étude (après Hickey 1998Hickey, Leo 1998 The Pragmatics of Translation . Clevedon: Multilingual Matters.Google Scholar ; Gutt 2000Gutt, Ernst-August 2000 Translation and Relevance . 2nd ed. Manchester: St. Jerome.Google Scholar ; Stockwell 2002Stockwell, Peter 2002 Cognitive Poetics: An Introduction . London: Routledge.Google Scholar) perçoit les poètes comme ‘indiquant’ des significations complexes et souvent indéterminées – explicitement via le lexique ou la grammaire, et implicitement via la sonorité, une voix non standard, des allusions au monde extérieur au texte, etc. Les indications peuvent être référentielles, émotionnelles ou métalinguistiques, ou tout à la fois. Ainsi ppovera vecchia (Figure 1, ligne 2) fait référence à une grand-mère pauvre et vieille ; émotionnellement, étant un terme d’affection, cela indique la compassion du narrateur pour la pauvre romaine ; et de manière métalinguistique, le ppovera romanesco, avec son accent tonique • · ·, auquel vecchia fait écho, révèle que le texte est un poème avec un narrateur romain.

Les lecteurs interprètent ces indications et construisent des schémas (cartes mentales ; cf. Stockwell 2002, 75ff.Stockwell, Peter 2002 Cognitive Poetics: An Introduction . London: Routledge.Google Scholar) de la signification du monde du texte. Ceux-ci sont souvent spécifiques au lecteur, aussi bien à cause de l’ « ouverture [de la poésie] aux interprétations » (Furniss et Bath, cités dans Boase-Beier 2009, 195 2009“Poetry.” In Routledge Encyclopaedia of Translation Studies, ed. by Mona Baker, and Gabriela Saldanha, 194–196. 2nd ed. London: Routledge.Google Scholar), qu’à cause de la participation des lecteurs à au moins deux autres ‘mondes’ (interactions du texte et du contenu ; cf. Stockwell, 136) :

  1. ‘monde de l’auteur’ : ici, les connaissances de chaque lecteur sur Belli et sa perception de sa présence dans le poème ;

  2. ‘monde du lecteur’ : la connaissance de chaque lecteur sur Rome et l’Italie, ainsi que son vécu, ses attitudes, ses idéologies (systèmes de croyances normatives sur la réalité sociale qu’une communauté ressent comme relevant du « sens commun » [Verschueren 2012, 10Verschueren, Jef 2012 Ideology in Language Use . Cambridge: Cambridge University Press.Google Scholar]), etc.

Les lecteurs de poèmes traduits ressentent une interaction entre les indications du poète source et ceux du traducteur. La plupart des traducteurs de poésie récents ont pour but de transmettre une interprétation justifiable de la source en utilisant des signaux similaires ou analogues (Boase-Beier 2009, 195 2009“Poetry.” In Routledge Encyclopaedia of Translation Studies, ed. by Mona Baker, and Gabriela Saldanha, 194–196. 2nd ed. London: Routledge.Google Scholar; Jones 2011, 140–141Jones, Francis R. 2011 Poetry Translating as Expert Action . Amsterdam: John Benjamins.Google Scholar; Holmes 1988, 54Holmes, James S 1988 Translated! Papers on Literary Translation and Translation Studies . Amsterdam: Rodopi.Google Scholar). En pratique, la nature « multiplex et polysémantique » de la poésie (comme avec ppovera vecchia ci-dessus) rend ceci souvent difficile et force les traducteurs à choisir entre deux alternatives (Jones 2011, 140–141Jones, Francis R. 2011 Poetry Translating as Expert Action . Amsterdam: John Benjamins.Google Scholar) :

  1. réduire les indications multiples en signaux simples : reproduire le sens mais, par exemple, abandonner la rime ;

  2. réorienter les indications avec créativité : inventer des indications « nouvelles » mais « appropriées » (Sternberg and Lubart 1999Sternberg, Robert J., and Todd I. Lubart 1999“The Concept of Creativity: Prospects and Paradigms.” In Handbook of Creativity, ed. by Robert J. Sternberg, 3–15. Cambridge: Cambridge University Press.Google Scholar), qui changent le sens du poème source tout en faisant ressortir son monde textuel ou son intention perçue. Stocks, par exemple, garde l’interaction de Belli du monde textuel et de la rime en changeant deux feuilles de salade (La bbona famijja, ligne 4) par not much on the plate [« pas beaucoup dans l’assiette »], ce qui rime avec le vers 2 : daddy gets back late [« papa rentre tard »] (Belli 2007a, 13 2007a Sonnets . Translated by Mike Stocks. Richmond: Oneworld Classics.Google Scholar).

Ici, les traducteurs ont des ‘hiérarchies de correspondance’ personnelles – qu’ils considèrent comme prioritaire de soit transmettre les détails sémantiques, ou la rime, par exemple (Holmes 1998, 86). En outre, si les indications sources ne peuvent pas être reproduites, les facteurs du ‘monde du traducteur’ (les connaissances du traducteur, son vécu, ses attitudes, idéologies, etc.) influencent aussi les nouveaux signaux que les traducteurs choisissent (Tymoczko 2000, 24Tymoczko, Maria 2000“Translation and Political Engagement: Activism, Social Change and the Role of Translation in Geopolitical Shifts.” The Translator 6 (1): 23–47.Google Scholar).

Lors de la traduction de poésie, le double objectif de Holmes (1988, 50)Holmes, James S 1988 Translated! Papers on Literary Translation and Translation Studies . Amsterdam: Rodopi.Google Scholar (écrire un poème dans une langue cible qui « corresponde » adéquatement à un poème d’une langue source) est évidemment difficile à atteindre, ainsi les lecteurs savent d’habitude qu’ils lisent des traductions (Boase-Beier 2004, 25Boase-Beier, Jean 2004“Knowing and Not Knowing: Style, Intention and the Translation of a Holocaust Poem.” Language and Literature 13 (1): 25–35. DOI logoGoogle Scholar). Donc, bien que les lecteurs peuvent accepter de lire « comme si c’était [la traduction] l’original » (commentaire d’un critique anonyme), ils peuvent être conscients de l’interaction entre les indications du poète source et celles du traducteur. De plus, certains « jeu[x] de signifiants » – par exemple, un personnage d’un pays source avec un nom dans une langue cible – peuvent souligner l’intervention du traducteur pour les lecteurs (Venuti 1995, 24Venuti, Lawrence 1995 The Translator’s Invisibility . London: Routledge. DOI logoGoogle Scholar).

1.4Les variétés de langue

Une langue est considérée ici comme un ensemble de « variétés » ou de systèmes communicatifs reliés entre eux, qui varient selon des « facteurs externes » comme l’emplacement géographique, la formalité, etc., mais aussi en termes de prestige social (Wardhaugh 2006, 27–33Wardhaugh, Ronald 2006 An Introduction to Sociolinguistics . 5th ed. Oxford: Blackwell.Google Scholar). La variété de langue en question peut être issue d’un canon « standard » (en grande partie uniforme à travers le territoire d’une nation), mais qui est aussi utilisée par les gens instruits et de pouvoir, et/ou lors d’événements communicatifs de haut statut (33–35). Un dialecte, par contre, est défini ici comme une variété régionale avec un prestige plus bas que les variétés standards (Armstrong and Federici 2006, 11–12Armstrong, Nigel, and Federico M. Federici 2006“Introduction.” In Translating Voices, Translating Regions, ed. by Nigel Armstrong, and Federico M. Federici, 11–15. Rome: Aracne.Google Scholar ; Wardhaugh 2006, 30Wardhaugh, Ronald 2006 An Introduction to Sociolinguistics . 5th ed. Oxford: Blackwell.Google Scholar). Les utilisateurs, cependant, peuvent secrètement apprécier leur dialecte (pour indiquer l’appartenance à un groupe par exemple) et même l’utiliser pour ébranler la domination de la variété standard, comme c’est sans doute le cas avec le romanesco de Belli (DuVal 1990, 28DuVal, John 1990“Translating the Dialect: Miller Williams’ Romanesco.” Translation Review 32–33: 27–31. DOI logo). La manière dont les lecteurs interprètent les voix dialectales littéraires dépend donc du monde des lecteurs et plus spécifiquement de ce qu’ils associent personnellement à ces voix.

La « langue régionale » est un concept étroitement lié à ceci : une langue seulement utilisée dans une partie d’une nation, sans nécessairement être soumise à une langue standard « suprarégionale » (Tabouret-Keller 1999, 337Tabouret-Keller, Andrée 1999“Western Europe.” In Handbook of Language and Ethnic Identity, ed. by Joshua A. Fishman, 334–352. Oxford: Oxford University Press.Google Scholar). L’écossais, par exemple, est une langue régionale du Royaume-Uni apparentée à l’anglais, ayant une longue tradition écrite (Scottish Executive Education Department 2007, 17). En pratique, les langues régionales et les langues standards peuvent avoir des statuts différents. L’anglais reste ainsi la seule langue officielle d’Écosse. Inversement, les écrits écossais peuvent transmettre des « connotations culturelles et politiques dont la langue officielle nationale est démunie » comme une dimension subversive (McClure 2006, 310McClure, J. Derrick 2006“Scots and Italian: A Tradition of Mutual Poetic Translation.” In Translating Voices, Translating Regions, ed. by Nigel Armstrong, and Federico M. Federici, 308–322. Rome: Aracne.Google Scholar) ou la « hameliness » [« le caractère accueillant du foyer »] (‘intimité’ ; cf. Holton 2004, 15Holton, Brian 2004“Wale a Leid an Wale a Warld: Shuihu Zhuan into Scots.” In Frae Ither Tongues: Essays on Modern Translation into Scots, ed. by Bill Findlay, 15–37. Clevedon: Multilingual Matters.Google Scholar).

Des dialectes anglais, comme l’anglais de Yorkshire ou l’anglais appelé le « Strine » (un dialecte australien) et l’écossais surviennent dans les traductions de Belli mentionnées ici. Vu que les dialectes et la langue régionale ont beaucoup de caractéristiques communes, j’utilise dès lors les termes « voix/variété/langue régionale » pour désigner les deux, sauf quand je mets en évidence les différences entre les deux.

La maîtrise relative des personnes des variétés standards ou régionales peuvent varier. Dans le Royaume-Uni actuel, par exemple, tout le monde comprend l’anglais standard et beaucoup de personnes parlent rarement voire jamais de variété régionale, même si les variations régionales d’accents sont communes. Au début du 19ème siècle, en Italie, cependant, l’italien standard était en grande partie limité à certains domaines écrits, comme la littérature, alors qu’environ 90% de la population parlait uniquement une variété régionale (De Mauro, Castellani, Bruni, cité dans Trifone 2011Trifone, Pietro 2011“Italiano E Dialetto Dal 1861 a Oggi [Italian and Dialect from 1861 to Today].” Treccani – l’Enciclopedia Italiana . http://​‌www​.treccani​.it​/‌magazine​/‌lingua​_italiana​/‌speciali​/‌italiano​_dialetti​/‌Trifone​.html. Accessed December 15 2012. ; Federico Federici, communication personnelle).

La langue régionale peut non seulement indiquer l’espace, mais aussi la communauté, et/ou le ton (relation entre les interlocuteurs ; cf. Halliday 1978, 110Halliday, Michael 1978 Language as Social Semiotic .Baltimore, OH: University Park Press.Google Scholar). Dans le cas du romanesco de Belli, la communauté est la population pauvre urbaine et le ton est informel ; donc, pour Berman ([1985] 2000, 294)Berman, Antoine (1985) 2000 “Translation and Trials of the Foreign.” Translated by Lawrence Venuti. In The Translation Studies Reader, ed. by Lawrence Venuti, 284–297. London: Routledge.Google Scholar, il s’agit d’une langue « vernaculaire » (une variété de langue populaire localisée). Bien sÛr, le romanesco de Belli est une langue vernaculaire littéraire, une sorte de « sociolecte littéraire » (Lane-Mercier 1997, 45Lane-Mercier, Gillian 1997“Translating the Untranslatable: The Translator’s Aesthetic, Ideological and Political Responsibility.” Target 9 (1): 43–68. DOI logoGoogle Scholar). Les sociolectes littéraires donnent un « point de vue narratif » qui met en évidence le statut social du locuteur (Määttä 2004, 319Määttä, Simo K 2004“Dialect and Point of View: The Ideology of Translation in The Sound and the Fury in French.” Target 16 (2): 319–339. DOI logoGoogle Scholar) – un pauvre enfant romain dans La bbona famijja, par exemple. Au lieu de recréer l’emploi authentique de la langue, les sociolectes suivent des règles typiquement conventionnelles, souvent pour souligner des traits qui sont habituellement associés à leurs locuteurs. Ils peuvent donc contribuer à la représentation des personnages et à l’intrigue, mais aussi générer des structures de « signification esthétique, idéologique et politique » (Lane-Mercier 1997, 46Lane-Mercier, Gillian 1997“Translating the Untranslatable: The Translator’s Aesthetic, Ideological and Political Responsibility.” Target 9 (1): 43–68. DOI logoGoogle Scholar), insistant sur les relations chaleureuses entre les membres des familles pauvres, par exemple.

1.5Traduire les voix régionales et les mondes textuels

Des recherches récentes ont mis en évidence la manière dont les traducteurs de prose littéraire et de théâtre abordent les voix régionales. Le plus souvent, les traducteurs « délocalisent » de telles voix dans une variété suprarégionale (Leppihalme 2000Leppihalme, Ritva 2000“The Two Faces of Standardization: On the Translation of Regionalisms in Literary Dialogue.” The Translator 6 (2): 247–269.Google Scholar ; Ramos Pinto 2009Ramos Pinto, Sara 2009“How Important Is the Way You Say It? A Discussion on the Translation of Linguistic Varieties.” Target 21 (2): 289–307. DOI logoGoogle Scholar ; Ghassempur 2011Ghassempur, Susanne 2011“Fuckin’ Hell! Dublin Soul Goes German: A Functional Approach to the Translation of ‘Fuck’ in Roddy Doyle’s the Commitments.” In Translating Dialects and Languages of Minorities, ed. by Federico M. Federici, 49–64. Berne: Peter Lang.Google Scholar ; Briguglia 2011Briguglia, Caterina 2011“Comparing Two Polysystems: The Cases of Spanish and Catalan Versions of Andrea Camilleri’s Il Cane De Terracotta.” In Translating Dialects and Languages of Minorities, ed. by Federico M. Federici, 109–125. Berne: Peter Lang.Google Scholar). Cette variété suprarégionale peut comporter des indications concernant le ton (e.g. familier) de la source, bien qu’il s’agisse souvent d’une variété « normalisée » (Allén 1999, 31–79Allén, Sture ed.1999 Translation of Poetry and Poetic Prose . Singapore: World Scientific.Google Scholar ; Ramos Pinto 2009, 292Ramos Pinto, Sara 2009“How Important Is the Way You Say It? A Discussion on the Translation of Linguistic Varieties.” Target 21 (2): 289–307. DOI logoGoogle Scholar) dénuée de toute spécificité. Bien que les lecteurs cibles puissent être conscients des voix délocalisées, « plus une caractéristique [régionale] est importante, plus la perte est importante […] si le traducteur la minimise » (Leppihalme 2000, 250Leppihalme, Ritva 2000“The Two Faces of Standardization: On the Translation of Regionalisms in Literary Dialogue.” The Translator 6 (2): 247–269.Google Scholar, 264–267 ; cf. Torop, cité dans Fochi 2006, 74Fochi, Anna 2006“A Journey from the Margins: The Transformations of Neruda.” In Translating Voices, Translating Regions, ed. by Nigel Armstrong, and Federico M. Federici, 72–89. Rome: Aracne.Google Scholar). Pour Määttä, la normalisation enlève le point de vue de l’Autre indiqué par le sociolecte source (2004, 319, 322Määttä, Simo K 2004“Dialect and Point of View: The Ideology of Translation in The Sound and the Fury in French.” Target 16 (2): 319–339. DOI logoGoogle Scholar).

De temps à autre, les traducteurs « relocalisent » (Armstrong and Federici 2006, 14Armstrong, Nigel, and Federico M. Federici 2006“Introduction.” In Translating Voices, Translating Regions, ed. by Nigel Armstrong, and Federico M. Federici, 11–15. Rome: Aracne.Google Scholar) les voix régionales sources dans une variété régionale cible, pour ajouter de la couleur locale, ou pour souligner une solidarité avec le public régional cible (e.g. Bowman and Findlay 2004Findlay, Bill 2004“Editor’s Introduction.” In Frae Ither Tongues: Essays on Modern Translation into Scots, ed. by Bill Findlay, 1–12. Clevedon: Multilingual Matters.Google Scholar Bowman, Martin, and Bill Findlay 2004“Translating Register in Michel Tremblay’s Québécois Drama.” In Frae Ither Tongues: Essays on Modern Translation into Scots, ed. by Bill Findlay, 66–83. Clevedon: Multilingual Matters.Google Scholar). La relocalisation, cependant, survient de manière particulièrement rare en prose. Ceci reflète probablement la vision que la relocalisation est « vouée à l’échec » (Landers 2001, 117Landers, Clifford E 2001 Literary Translation: A Practical Guide . Clevedon: Multilingual Matters.Google Scholar), parce qu’on risque de changer la communauté de la variété source et les indications de ton, imposant une variété grossièrement stéréotypée, et/ou provoquant une résistance de la part du lecteur (ibid. ; Määttä 2004, 321, 331Määttä, Simo K 2004“Dialect and Point of View: The Ideology of Translation in The Sound and the Fury in French.” Target 16 (2): 319–339. DOI logoGoogle Scholar; Leppihalme 2000, 265–267Leppihalme, Ritva 2000“The Two Faces of Standardization: On the Translation of Regionalisms in Literary Dialogue.” The Translator 6 (2): 247–269.Google Scholar). La relocalisation est pourtant parfois recommandée si la variété cible comporte des indications conventionnelles similaires (e.g. pauvre, urbain, débrouillard) à la source, ou possède sa propre tradition littéraire, comme avec l’écossais (Määttä 2004, 321Määttä, Simo K 2004“Dialect and Point of View: The Ideology of Translation in The Sound and the Fury in French.” Target 16 (2): 319–339. DOI logoGoogle Scholar). Une alternative utilisée de temps à autre consiste à relocaliser dans un amalgame de variétés régionales cibles.

Peu importe l’approche, la « double violence » du traducteur dans la médiation du contenu, de l’idéologie, etc. du texte source via son monde de traducteur et les « positions des lecteurs » de la culture cible signifie que « les sociolectes littéraires sont saturés » visiblement de la « présence du sujet qui traduit » (Lane-Mercier 1997, 48Lane-Mercier, Gillian 1997“Translating the Untranslatable: The Translator’s Aesthetic, Ideological and Political Responsibility.” Target 9 (1): 43–68. DOI logoGoogle Scholar). Par conséquent, Woodham (2006, 406)Woodham, Kathryn 2006“From Congolese Fisherman to British Butler: Francophone African Voices in English Translation.” In Translating Voices, Translating Regions, ed. by Nigel Armstrong, and Federico M. Federici, 392–408. Rome: Aracne.Google Scholar propose « une approche disjonctive » selon laquelle le public cible « joue le jeu » en laissant la traduction exister aussi bien dans l’emplacement cible (indiqué par les voix régionales cibles) que dans l’emplacement source (indiqué par la connaissance du monde de l’auteur, les noms de lieux, etc.) ; cela est possible via la plus large « interruption des croyances » [« suspension of belief »] qui leur permet de connaître n’importe quel apport dans une langue cible comme si c’était un apport dans une langue source. Elle recommande sinon une approche « atténuée » qui conserve seulement les indications pertinentes au niveau textuel du sociolecte (402–403), comme le caractère informel.

La sémantique du monde textuel, comme le nom féminin romain Ccrementina (‘Clementina’ en italien standard) de La bbona famijja ou la salade comme de la nourriture italienne bon marché, peut aussi donner des indications spatiales. ‘Normaliser’ une traduction supprimerait de tels éléments, et la ‘relocaliser’ les remplacerait par des éléments de la région cible. Une autre option est de ‘préserver’ leur référence à l’espace source en les transcrivant ou en les traduisant littéralement (e.g. Ccrementina→Ccrementina ou inzalata→salade).

2Méthodes

2.1Les sources de données

Pour explorer la manière et la raison pour laquelle les traducteurs abordent la voix régionale du poème source, l’unité d’analyse est la ‘production’ de chaque traducteur ou le corps des traductions de Belli, confirmée par les ‘commentaires’ du traducteur (quand ils sont disponibles) à propos de cette production. La Figure 2 liste les traducteurs de Belli trouvés via des recherches bibliographiques et sur internet par première année de publication,11Après avoir fait l’analyse, j’ai trouvé un autre traducteur, dont la production correspond à un profil identifié dans cette étude. ainsi que des détails des productions et des commentaires.

Figure 2.

Traducteurs, productions et commentaires

Figure 2.

Frances Trollope a été exclue de l’étude pour deux raisons. Premièrement, elle a publié beaucoup plus tôt (1881) que les autres (1960–2007), bien avant la révolution moderniste des normes poétiques du début du 20ème siècle. Concernant les onze traducteurs restants, aucune des variables listées ci-dessous (Figure 3) n’était liée de manière significative à l’année de publication ; les effets liés à la période de publication peuvent donc ne pas être pris en considération. Deuxièmement, elle était la seule femme, ce qui aurait pu risquer d’introduire une variable de genre dont l’effet ne pouvait être évalué sans plus de sujets féminins.

Aucun des onze traducteurs restants n’est, à ma connaissance, traducteur professionnel. Burgess, Garioch, Neill, Norse, O’Grady, Stocks et Williams sont des poètes publiés, Howard et Sullivan ne le sont pas (le statut d’Andrews et de Dale est inconnu) ; étant donné que cette distinction n’était liée de manière significative avec aucune des variables, elle n’est pas non plus prise en considération dans les analyses.

Chaque production comprend toutes les traductions de Belli publiées sur internet et sur papier du traducteur concerné. Toutes les productions sont des sélections des 2279 sonnets de Belli, allant des sonnets 120 de Garioch aux quatre poèmes de Howard. Les différences en termes de la taille des productions n’ont cependant pas eu d’incidence matérielle sur les résultats, parce que l’approche de chaque traducteur est hautement systématique : des tendances ressortent après l’analyse de 4 ou 5 poèmes, que des analyses supplémentaires ne font que confirmer dans la plupart des cas.

Les commentaires des traducteurs proviennent d’abord des préfaces disponibles du traducteur (référencées dans la Figure 2). J’ai ensuite essayé de contacter tous les traducteurs vivants pour organiser des interviews. Cela a seulement fonctionné pour Howard et Stocks. Les interviews ont duré environ 1 heure et demie et ont été enregistrées. Les questions suivantes ont fourni des données pour cette étude :

Avez-vous des principes/croyances qui guident vos stratégies de traduction ? Quel(le)s sont-ils/elles ?

Comment décririez-vous le style de langue cible que vous avez choisi pour Belli ? Pourquoi et comment l’avez-vous choisi / vous a-t-il choisi ? Quelle était la relation entre le style que vous avez choisi et :

  • le fait que Belli écrivait en dialecte plutôt qu’en italien littéraire ‘standard’ ?

  • n’importe quel autre aspect du style de Belli ?

  • n’importe quel autre aspect du contenu de Belli ?

2.2Analyse

L’analyse implique l’étayage des résultats initiaux quantitatifs avec des explorations qualitatives. Quantitativement, les productions sont analysées à l’aide de trois ‘dimensions’, chacune avec un ou trois ‘élément(s)’. La dimension de la Voix (trois éléments : Espace, Communauté, Ton) relie les réponses des traducteurs aux indications données par le romanesco de Belli ; Monde textuel (un élément : Espace) relie leurs réponses aux indications spatiales de son monde textuel romain ; Forme (deux éléments : Rime, Rythme) relie leurs réponses à ses endécasyllabes rimés. Chaque production a été codée (1), (2) ou (3) pour chacun des éléments afin de montrer la relation d’ensemble entre les indications de l’original de Belli et ceux transmis par le traducteur (cf. le modèle cognitif-pragmatique de poésie présenté dans la Section 1.3 ci-dessus). Ces codes constituent chaque élément sur une échelle (ordinale) en trois points, sur laquelle les indications du poème cible divergent en trois niveaux par rapport aux indications du poème source :

  1. ‘la mise en parallèle’ : la reconstitution maximale des indications du poème source ;

  2. une approche ‘mixte’ ;

  3. des indications cibles qui ‘divergent’ fortement des indications du poème source (que ce soit par suppression ou changement créatif).

Ceci permet deux types d’analyses quantitatives : la comparaison des comptes de productions à travers trois codes d’un élément montre les préférences des traducteurs, et les tests de corrélation de rang entre les éléments révèlent des liens entre les éléments. La Figure 3 montre les critères et des exemples d’indicateurs linguistiques pour la Mise en Parallèle et pour la Divergence, les deux extrêmes de chaque élément.

Figure 3.

Eléments, définitions des codes and exemples de productions (mises en évidence ajoutées)

Figure 3.

Deux éléments de plus – Voix/Temps et Monde textuel/Temps, codés comme ‘archaïsation’ vs. ‘modernisation’ (conserver l’ancien vs. mettre à jour ; cf. Jones et Turner 2004Jones, Francis R., and Allan Turner 2004“Archaisation, Modernisation and Reference in the Translation of Older Texts.” Across Languages and Cultures 5 (2): 159–184. DOI logoGoogle Scholar) – ont été utilisés pour vérifier si les approches des traducteurs par rapport au type non moderne de voix et de monde textuel de Belli sont en rapport avec leurs approches de la voix régionale. Ceux-ci n’étaient cependant liés de manière significative avec aucun des éléments de la Figure 3 et ne sont par conséquent pas non plus pris en considération.

La Figure 4 liste les codes de chaque production et des notes explicatives. Ceci montre, par exemple, que les trois éléments de la Voix et la Forme/Rythme d’Andrew, codés comme (3), divergent de la langue vernaculaire locale rimée de Belli en anglais standard non rimé ; alors que son Monde textuel/Espace et sa Forme/Rythme, codés comme (1), sont équivalents au texte romain de Belli et à son rythme régulier.

Figure 4.

Productions et codes attribués

Figure 4.

Les approches des traducteurs – e.g. la préférence pour classe ouvrière vs. littéraire/instruit (Voix) – ne sont pas automatiquement reprises dans des catégories distinctes. Certaines décisions approximatives ont donc été inévitablement basées sur l’intuition du chercheur lors du codage. Cependant, la fiabilité des résultats a été augmentée par le recodage de toutes les productions deux ans après le codage initial ; les quelques divergences ont été résolues par des investigations supplémentaires (où le premier codage l’emportait habituellement). En outre, la faculté des méthodes de classement en catégories de faire apparaître des schémas qui n’apparaissaient pas lors des analyses qualitatives compense sans doute ce genre de ‘flou’.

En tout cas, les méthodes quantitatives et qualitatives se complètent. Les corrélations suggèrent des tendances et les comptes des productions à travers les trois catégories pour chacun des éléments révèlent des schémas de préférences traductionnelles pour chaque tendance ; ces deux aspects sont ensuite analysés qualitativement en se référant aux exemples des poèmes cibles et aux commentaires des traducteurs. En termes cognitifs-pragmatiques, les analyses combinées révèlent ce que les traducteurs semblent considérer comme une ‘interprétation justifiable’ du poème source, et les raisons pour lesquelles ils transmettent les indications du poème source. Ils spéculent également sur la manière dont les lecteurs pourraient interpréter les indications du poème source à la lumière de leur image mentale potentielle de Rome et de Belli, du monde textuel du poème cible et du traducteur et du rôle de la forme poétique.

3Résultats

3.1Corrélations

Les corrélations de rang entre les éléments sont résumées dans la Figure 5. (Les comptes de productions sous-jacents sont présentés plus tard, lors de la discussion des schémas de corrélations spécifiques.) Ces corrélations de rang évaluent la polarité et la force du lien (exprimée par le coefficient ρ) entre deux variables avec des catégories classées. Ainsi, une corrélation positive de ρ .75 entre Forme/Rime et Forme/Rythme montre que certains traducteurs ont une tendance plutôt forte à utiliser des approches similaires avec les deux éléments, en cas de mise en parallèle (reflétant la forme poétique de Belli), mixte, ou divergente (la rejetant). Une corrélation négative de ρ -.89 entre Voix/Ton et Monde textuel/Espace, par contre, montre que d’autres traducteurs ont une tendance très forte à utiliser des approches contraires par rapport à ces éléments (e.g. mettre en parallèle la voix informelle de Belli tout en s’éloignant de la Rome de Belli dans les mondes textuels du pays cible). La Figure 5 indique aussi la probabilité (p bilatéral) de corrélations qui mettent en évidence des liens réels :

Figure 5.

Corrélations de rang entre les éléments et leur importance

Figure 5.

Nos analyses de ces données se concentreront d’abord sur la voix (3.2), ensuite sur la manière dont elle interagit avec d’autres facteurs : l’espace du monde textuel (3.3), et la forme poétique (3.4).

3.2Aborder la voix vernaculaire de Belli

3.2.1Les préférences et interconnections

La Figure 5 montre des corrélations fortement positives entre les trois éléments de la Voix : Espace~Communauté ρ .88, Espace~Ton ρ .75, Communauté~Ton ρ .84. Ainsi Voix/Espace, Voix/Communauté et Voix/Ton peuvent être perçus comme formant une échelle entre deux extrêmes :

  1. la mise en parallèle : les traducteurs qui reprennent la voix vernaculaire de Belli dans un Espace relocalisé, avec un Ton informel et un vernaculaire d’une Communauté de classe ouvrière – comme dans l’anglais de Yorkshire de Howard a couple o’ hours o’ suppin’ pass [‘nous passons quelques heures à boire de l’alcool’] pour le vers 9 de La bbona famijja (2005, 49) ;

  2. la divergence : les traducteurs qui convertissent le vernaculaire de Belli en anglais standard (Espace délocalisé, Ton neutre à formel, Communauté littéraire) – comme dans O’Grady : Mastro Checco, you call the Roman / conclave Pilate’s Praetorium [« Mastro Checco, tu appelles le Romain / au conclave Pilate’s Praetorium »] (de The Explanation of the Conclave, O’Grady, 97).33D’après La spiegazzione der Concrave (2007b, no. 1383) de Belli : « Er Concrave de Roma, Mastro Checco, / tu lo chiami er Pretorio de Pilato. »

Figure 6.

Voix : compte de productions

[Traductions : (1) Mise en parallèle (vernaculaire), (2) Mixte, (3) Divergence (standard) Au-dessus, de haut en bas : Voix/Espace, Voix/Communauté, Voix/Ton]

Figure 6.

La Figure 6 montre que les productions sont réparties entre tous les points (mise en parallèle, mixte et divergence) sur cette échelle. Cependant, les approches avec mise en parallèle sont légèrement préférées : 5/11 relocalisent la Voix/Espace de Belli (vs. 4/11 divergeant avec une voix délocalisée) ; 4/11 recréent sa Voix/Communauté de la classe ouvrière (vs. 3/11 divergeant avec des littéraires/instruits) ; et 7/11 recréent sa Voix/Ton informel (vs. 3/11 divergeant avec du neutre/formel). Les sections suivantes étudient trois approches clés dans cette échelle : la relocalisation extrême avec ‘mise en parallèle’ ; la délocalisation de Voix/Espace tout en conservant d’autres caractéristiques vernaculaires ; et les changements ‘divergents’ extrêmes en anglais standard.

3.2.2Les vernaculaires relocalisés

Presque la moitié des traducteurs relocalisent les voix locales de Belli, ce qui laisse supposer que les problèmes de relocalisation cités pour la prose et le théâtre ne sont pas insurmontables en poésie. Un problème, entre autres, est que la relocalisation peut donner aux lecteurs des indications cognitives contraires (p. ex. Määttä 2004, 321Määttä, Simo K 2004“Dialect and Point of View: The Ideology of Translation in The Sound and the Fury in French.” Target 16 (2): 319–339. DOI logoGoogle Scholar) : les connaissances sur le monde de l’auteur (fournies par les préfaces des traducteurs) situent les poèmes à Rome, mais les voix dans le poème les situent en Yorkshire, par exemple. La mise en parallèle est une solution aux problèmes cognitifs : la mise en évidence de la manière dont deux choses qui ont l’air dissemblable ont des caractéristiques communes. Ceci permet aux traducteurs qui relocalisent de demander aux lecteurs cibles de « jouer le jeu » (Woodham 2006, 406Woodham, Kathryn 2006“From Congolese Fisherman to British Butler: Francophone African Voices in English Translation.” In Translating Voices, Translating Regions, ed. by Nigel Armstrong, and Federico M. Federici, 392–408. Rome: Aracne.Google Scholar) en acceptant les voix de la région cible comme une analogie au romanesco, basée sur la supposition qu’un poème traduit est l’analogie la plus appropriée de son homologue source.

Les lecteurs sont sans doute plus probablement susceptibles d’accepter de telles analogies si les voix cibles transmettent d’autres indications pertinentes en plus d’un régionalisme de la voix source. Alors que Landers prétend que la relocation entraîne le risque de perdre des connotations non-spatiales du dialecte source (2001, 117), les traducteurs de Belli qui relocalisent conservent l’informalité de Belli, ainsi que toutes (4 traducteurs sur 5) ou certaines (1 sur 5) de ses connotations rappelant la classe ouvrière urbaine – comme on pouvait s’y attendre, puisque l’anglais et l’écossais ont beaucoup de variétés locales, informelles, et rappelant la classe ouvrière urbaine. Quand il a été interrogé pour cette étude, Howard expliquait davantage la raison pour laquelle il a utilisé son dialecte du Yorkshire en tant qu’analogie au romanesco de Belli :

Le Yorkshire est […] rural mais parsemé de grands centres urbains. […] Autour de la grande région urbaine de Rome […] à cette époque tout aurait été rural […]. Donc le [dialecte du] Yorkshire peut être suffisamment adapté pour convenir aux deux scénarios.

Aussi, Howard continuait, seulement la présence de voix vernaculaire peut refléter l’opposition polyglotte du romanesco à l’italien standard des dirigeants de Rome (Määttä 2004, passimMäättä, Simo K 2004“Dialect and Point of View: The Ideology of Translation in The Sound and the Fury in French.” Target 16 (2): 319–339. DOI logoGoogle Scholar) :

[Belli] parle de nnoantri 44‘Nous les autres’, i.e. ‘nous-mêmes’ : une expression clé dans les discours des Romains de Trastevere portant sur l’identité (Laura Leonardo, communication personnelle). : […] ‘nous’, donc comme ‘nous et eux’. Donc, la première chose qu’on voit [dans] un sonnet de Belli est cette altérité, qu’on doit transmettre. Donc en le mettant dans n’importe quelle sorte de standard, selon moi, on manque l’objectif.

Pour Howard, le dialecte de Yorkshire, avec ses associations à la solidarité de la classe ouvrière, comporte précisément ses nuances de « nous et eux ». De façon similaire, Dale argumente que les associations au « vétuste » et aux « basses classes » de la voix de sa variété d’anglais australien (e.g. An we siddown t’ eat a coupla leaves a salad [‘et nous nous asseyons pour manger quelques feuilles de salade’]: La bbona famijja, vers 4) indiquent le caractère subversif du romanesco (2006).

Ce souci de l’analogie est sans doute aussi éthique, avec un souci de loyauté envers les écrivains sources qui implique de rester fidèle à leur style et à leur idéologie socio-politique. Comme développé ci-dessous, ceci est important même pour les traducteurs qui recréent seulement l’aspect informel du vernaculaire de Belli.

La loyauté n’implique pas cependant l’invisibilité. Vu que les voix relocalisées indiquent aussi bien l’espace analogisé du poème source analogue et l’espace du poème cible, ce dernier peut seulement appartenir au ‘traducteur implicite’, qui par conséquent devient potentiellement visible aux lecteurs (Woodham 2006, 406Woodham, Kathryn 2006“From Congolese Fisherman to British Butler: Francophone African Voices in English Translation.” In Translating Voices, Translating Regions, ed. by Nigel Armstrong, and Federico M. Federici, 392–408. Rome: Aracne.Google Scholar ; Lane-Mercier 1997, 48Lane-Mercier, Gillian 1997“Translating the Untranslatable: The Translator’s Aesthetic, Ideological and Political Responsibility.” Target 9 (1): 43–68. DOI logoGoogle Scholar). Dans les vers 1–2 de La bbona famijja, par exemple, l’écossais de Garioch (1983, 231)Garioch, Robert 1983“Roman Sonnets Frae Giuseppe Belli.” In Complete Poetical Works , by Robert Garioch, 217–280. Edinburgh: Macdonald.Google Scholar souligne son statut en tant que poète écossais parlant pour Belli sans effacer sa propre identité :

Faither wins hame, my granny leaves her wheel,

puir sowl, gies owre her spinning for the nicht ;

[Papa rentre, ma grand-mère laisse sa roue,

pauvre âme, arrête sa filature pour ce soir]

Bien sÛr, chacune des voix de ces traducteurs, est, comme celle de Belli, une voix régionale littéraire, ce qui fait ressortir une seule de leurs voix potentielles. Néanmoins, relocaliser permet aux traducteurs d’indiquer leur propre identité régionale – et par conséquent, comme Belli, leurs propres idéologies d’identité. Dans l’extrait cité plus haut, par exemple, Howard a prononcé l’expression « nous et eux » dans un très fort accent de Yorkshire, mettant l’accent sur le potentiel socialement subversif de sa voix régionale.

Avec les traductions écossaises de Garioch et de Neill, les idéologies d’identité régionale ont plus d’importance au niveau littéraire et politique. La viabilité de l’écossais « en tant que moyen national littéraire contre la […] domination culturelle de l’anglais » n’est pas acceptée universellement, même en Ecosse (McClure 2006, 310McClure, J. Derrick 2006“Scots and Italian: A Tradition of Mutual Poetic Translation.” In Translating Voices, Translating Regions, ed. by Nigel Armstrong, and Federico M. Federici, 308–322. Rome: Aracne.Google Scholar). L’écossais peut donc, comme les voix dialectales anglophones, explorer et subvertir les relations de domination linguistique : donc Garioch utilise l’écossais ainsi que l’anglais standard pour rappeler le contraste satirique de Belli entre le vernaculaire et la « langue hégémonique » (l’italien standard ou le latin ; cf. Duranti 1989, 41Duranti, Riccardo 1989“The Paradox of Distance: Belli Translated into English and Scots.” New Comparison 8 (Autumn): 36–44.Google Scholar), et Neill décrit l’interaction dans sa poésie entre l’anglais, l’écossais et le gaélique comme une « défense des petites langues contre les grandes bouches » (cité par Scottish Poetry Library 2013). L’écossais, cependant, contrairement à l’anglais de Yorkshire ou à l’anglais australien, est aussi une langue nationale ressurgissant. Les traductions de Garioch ont ainsi contribué à « [recréer] une nouvelle langue écossaise » en élargissant sa portée (Fletcher 2000, 34Fletcher, Bryan 2000“Translating the Folk.” Edinburgh Working Papers in Applied Linguistics 10: 32–36.Google Scholar), une entreprise que Neill a poursuivie. Garioch et Neill, par contre, représentent des visions différentes par rapport à cette langue littéraire : la vision selon laquelle elle devrait ressortir des écrivains retravaillant leurs propres héritages locaux et littéraires, comme dans l’amalgame de Garioch du vernaculaire d’Edimbourg et de l’anglais, ou l’autre vision selon laquelle on devrait combiner l’usage moderne démotique avec l’usage littéraire de la Renaissance, comme dans les traductions de Neill (W.N. Herbert, communication personnelle ; McClure, ibid. ; Findlay 2004, 4Findlay, Bill 2004“Editor’s Introduction.” In Frae Ither Tongues: Essays on Modern Translation into Scots, ed. by Bill Findlay, 1–12. Clevedon: Multilingual Matters.Google Scholar).

Les identités et idéologies des textes interagissent en fin de compte avec celles des lecteurs. Comme la conversation avec des voix régionales (Wolfram et Schilling-Estes 2006, 41Wolfram, Walt, and Natalie Schilling-Estes 2006 American English: Dialects and Variation . 2nd ed. Oxford: Blackwell.Google Scholar), la communication entre les traducteurs et les lecteurs dans une voix régionale partagée peut renforcer un ‘nous’ commun, une identité commune, et activer des associations régionales partagées, aussi bien monde réelles (e.g. identification avec l’anglais des paysages industrieux et ruraux du Nord de l’Angleterre) qu’idéologiques (e.g. la résistance au centralisme londonien). Si ceci fait ressortir la communication du poète source avec les lecteurs sources visés, ceci améliore sans doute l’expérience littéraire. Cependant, la conversation avec des voix régionales peut aussi exclure (ibid.) ; les lecteurs qui ne partagent pas la voix régionale du traducteur peuvent se sentir exclus de son groupe, du « nous », voire s’identifier aux dirigeants, aux « autres ». Ce risque peut être réduit si les lecteurs qui n’appartiennent pas au « nous » acceptent la voix cible comme le seul moyen pour le traducteur de transmettre le régionalisme de la source, puisque peu d’entre eux peuvent écrire plus d’une voix régionale de manière convaincante. Ainsi, après la lecture de la justification de Dale pour sa traduction dans le Strine, son anglais australien natif (2006), les lecteurs non–australiens peuvent considérer l’anglais australien comme le moyen le plus approprié pour Dale d’indiquer l’intention de Belli avec le romanesco. Certains pourraient même considérer l’anglais australien de Dale comme un analogue à leur propre langue locale, se sentant donc indirectement inclus dans le « nous » des personnes parlant l’anglais australien. La voix régionale cible, cependant, entraîne aussi le risque d’exclure les lecteurs n’appartenant pas au « nous » qui ne peuvent simplement pas le comprendre, ou qui trouvent que l’utilisation de glossaires (comme ceux fournis par Garioch and Neill) requerrait trop d’efforts : d’où la vision que la voix écossaise « réduit le public [de la traduction] » (Duranti 1989, 40–41Duranti, Riccardo 1989“The Paradox of Distance: Belli Translated into English and Scots.” New Comparison 8 (Autumn): 36–44.Google Scholar) parce que « peu [de lecteurs non écossais] peuvent lire l’écossais avec facilité » (Dale 2006, 86Dale, Peter 2006“Six Sonnets: Giuseppe Gioachino Belli.” In The Yellow Nib , ed. by Ciaran Carson, 86–92. Belfast: Seamus Heaney Centre for Poetry.Google Scholar).

Relocaliser dans un « amalgame régional » peut potentiellement limiter ces risques. Ainsi, dans Cain, Sullivan (cité dans Duranti 2006, 293 2006“Le Molteplici Sfide Traduttive Dei Sonetti Di Belli [The Manifold Translation Challenges of Belli’s Sonnets].” In Translating Voices, Translating Regions, ed. by Nigel Armstrong, and Federico M. Federici, 287–305. Rome: Aracne.Google Scholar) utilise du vocabulaire issu de l’écossais (neeps : ‘navets’) et du cockney (china : ‘copain, pote’), ainsi que de la phonologie et de la grammaire (e.g. ‘is: ‘son’; like they was: ‘comme s’ils étaient’) de divers dialectes de l’anglais du Royaume-Uni : « But he saw the Almighty treat his neeps / and ‘is ‘oney like they was a joke, / not so with Abel’s milk and sheeps. / […] / so then, my old china, you go for broke. » [« Mais il vit le Tout-Puissant traiter ses navets / et sa chérie comme s’ils étaient une blague, / mais il ne faisait pas ça avec le lait et les moutons d’Abel. / […] / alors, mon vieux pote, tu joues le tout pour le tout. »]55D’après Caino (2007b, no. 184) de Belli : « Ma cquer vede ch’Iddio sempre ar zu‘ mèle / e a le su’ rape je sputava addosso, / e nnò ar latte e a le pecore d’Abbele, // […] e allora, amico mio, tajja ch’è rosso. » En tant que régionalismes typiques, ceux-ci sont compréhensibles pour la plupart des lecteurs du Royaume-Uni ; et comme ils ne sont pas liés à un endroit, ils n’y a pas de « nous » duquel les lecteurs (du Royaume-Uni) pourraient se sentir exclus. De tels amalgames surviennent cependant rarement dans la vie réelle ou en littérature : les lecteurs pourraient donc les percevoir comme une analogie moins crédible pour le romanesco de Belli.

3.2.3Les vernaculaires délocalisés

Délocaliser les voix régionales évite les risques de la relocalisation. Dans ce cas-ci, deux approches sont apparues. La première conserve les indications informelles et/ou de la classe ouvrière du romanesco de Belli. Quand il a été interrogé pour cette étude, Stocks l’a recommandée pour des raisons d’accessibilité :

L’écossais et les autres dialectes vont toucher un si petit nombre de lecteurs […] ; alors qu’[en utilisant] une langue traditionnelle […] j’espère vraiment que ce livre va progressivement être lu par un groupe de lecteurs potentiels de plus en plus large.

Il a également expliqué qu’il ne maîtrisait pas une variété régionale qui pourrait représenter le romanesco de Belli de manière convaincante. Pour les traducteurs qui relocalisent, les indications spatiales du romanesco de Belli sont cruciales. Pour Stocks, par contre, celles-ci sont moins importantes que leur caractère subversif. Pour transmettre ceci, Stocks (faisant écho à plusieurs érudits, écho résumé dans Weston 2006, 240Weston, Anna 2006“Sophocles on the South Bank: Tony Harrison Translatee and Translator.” In Translating Voices, Translating Regions, ed. by Nigel Armstrong, and Federico M. Federici, 235–253. Rome: Aracne.Google Scholar) a recommandé de recréer le ton informel de Belli et son énergie poétique :

[Le romanesco] a totalement libéré [Belli] des contraintes de la langue formelle italienne […] Donc d’une certaine façon en tant que traducteur, on se doit de trouver un équivalent […] Donc ce que j’ai essayé de faire, c’est […] trouver un style de langage qui […] fait écho à Belli mais qui est compréhensible directement pour n’importe qui […] qui est un locuteur natif de l’anglais. Et on y parvient avec des expressions idiomatiques, avec une syntaxe recherchée, avec de l’argot, juste avec de l’énergie.

Ceci est confirmé par les traductions de Stocks, comme dans Mad Again (Belli 2007a, 3 2007a Sonnets . Translated by Mike Stocks. Richmond: Oneworld Classics.Google Scholar)66D’après Er matto da capo lo (2007b, no. 157) de Belli : « Sai chi ss’è rriammattito? Caccemmetti : / e’r padrone, c’ha ggia vvisto la terza, / l’ha mmannato da Napoli a la Verza, / pe rrifajje passa ccerti grilletti. »: « You know who’s flipped again? Loverboy Jack. / His boss – who’s seen it all, and knows the score – / has sent him to the Naples nuthouse for / some treatment, so he’ll get his marbles back. » [« Tu sais qui a encore pêté les plombs ? Ce Don Juan de Jack. / Son patron – qui a tout vu, et qui sait où on en est – / l’a envoyé à l’asile de Naples pour / qu’il suive un traitement, comme ça il retrouvera sa tête. »]

3.2.4S’éloigner de la langue standard

La deuxième approche délocalisante normalise tous les éléments du vernaculaire de Belli dans un anglais littéraire standard. Dans la communication écrite, cette variété est conventionnellement transparente, sans aucun indicateur de région, de communauté ou de ton. Ceci réduit la visibilité du traducteur, aussi bien en tant qu’interprète du poème source qu’en tant qu’acteur d’une culture cible (Tymoczko 2000, 23Tymoczko, Maria 2000“Translation and Political Engagement: Activism, Social Change and the Role of Translation in Geopolitical Shifts.” The Translator 6 (1): 23–47.Google Scholar ; Venuti 1995Venuti, Lawrence 1995 The Translator’s Invisibility . London: Routledge. DOI logoGoogle Scholar). En outre, il supprime les indications socialement subversives du vernaculaire source. Les mondes textuels du poème, bien sÛr, transmettent toujours ce caractère subversif. Les poèmes de Belli, cependant, contiennent des voix comme s’ils étaient prononcés – et l’anglais standard parlé est associé à des locuteurs socialement dominants ou à des événements en langage formel. Le point de vue de la voix, par conséquent, passe du subversif/informel au dominant/formel, donnant des indications qui s’opposent au monde textuel subversif/informel.

Dans The Model Family (La bbona famijja, vers 13–14 : Belli 1984, XX 1984 The People of Rome in 100 Sonnets . Translated by Allen Andrews. Rome: Bardi.Google Scholar), par exemple, le narrateur d’Andrew dit : « A little piss, a short Salve Regina, / And, in the peace of Heaven, we go to bed. » [Un petit pipi, une courte Salve Regina, / Et, dans la paix du Ciel, nous allons au lit.] Le ton formel ecclésiastique a short Salve Regina et in the peace of Heaven signale la famille comme suivant la doctrine officielle de l’Eglise. Ceci contraste avec les clichés vernaculaires de Belli quand il écrit ‘na sarvereggina et in zanta pasce. Ceux-ci indiquent que la famille fait simplement quelque chose qui doit être fait avant d’aller au lit (Federico Federici, communication personnelle) plutôt qu’une subordination, comme dans Howard « a quick piss and an ‘ail mary / an’ straight up to bed in peace an’ plenty » [« un petit pipi rapide et un ‘Je vous salue Marie’ / et directement au lit dans la paix et la plénitude »] (2005, 49).

3.3Les monde textuels avec indications spatiales

3.3.1La voix et l’espace du monde textuel

Les mondes textuels (endroits, personnes, objets, etc.) peuvent aussi contenir des indications spatiales. Dans la Figure 5, Monde textuel/Espace est en corrélation négative avec la Voix : ρ -.69 avec Voix/Communauté, ρ -.75 avec Voix/Espace, et ρ -.89 avec Voix/Ton. Ceci ajoute un aspect du monde textuel à l’échelle basée sur la voix de la Section 3.2.1 :

  1. à un des deux extrêmes, les traducteurs relocalisent la Voix du vernaculaire de Belli comme la voix informelle d’une région cible appartenant à la classe ouvrière urbaine (mise en parallèle), ce qui signifie aussi qu’on relocalise le Monde textuel/Espace romain de Belli avec des analogies de pays cible (divergence : d’où les corrélations négatives) ;

  2. à l’autre extrême, les traducteurs divergent du vernaculaire de Belli pour une Voix en anglais standard – mais ils mettent en parallèle le Monde textuel/Espace de Belli en le laissant à Rome.

Le dernier choix est relativement impopulaire : des 5 traducteurs sur 11 qui relocalisent systématiquement la Voix/Espace vernaculaire (Mise en parallèle : Figure 6), seulement deux ont aussi systématiquement relocalisé le Monde textuel/Espace romain/italien (Divergence : Figure 7). Les éléments suivants sont plus populaires dans la Figure 7 : la préservation de certains éléments du Monde textuel/Espace tout en relocalisant des autres (Mixte), ou alors la conservation systématique du Monde textuel/Espace romain/italien (Mise en parallèle).

Figure 7.

Monde textuel/Espace : comptes des productions

[Traductions : (1) Mise en parallèle (conservation de la région source), (2) Mixte, (3) Divergence (relocalisation) Au-dessus, Monde textuel/Espace]

Figure 7.

Les Sections 3.3.2-3.3.4 développent des points clés sur cette échelle modifiée.

3.3.2Les mondes textuels relocalisés

Howard et Neill sont les deux traducteurs qui relocalisent systématiquement le monde textuel et la voix. Howard, par exemple, change Ccrementina de La Bbona Famijja en Grace – un nom anglais avec une signification similaire. Et dans Ugsome Sicht (‘Horrible Vision’) de Neill, une fille assassinée est retrouvée sur la route de Balmapaddie (Belli 1998, 19 1998 Seventeen Sonnets . Translated by William Neill. Kirkcaldy: Akros.Google Scholar), un toponyme aux consonances écossaises inventé pour remplacer La Storta de Belli près de Rome (2007b, no. 2158 ; Brian Holton, communication personnelle). Ceci permet d’éviter un conflit cognitif entre des voix indiquant le Yorkshire/l’Ecosse et des mondes textuels indiquant l’Italie. Comme l’a expliqué Howard, « Je pouvais seulement faire parler [Belli] de manière authentique en retravaillant toute l’histoire » (interview avec cet auteur). Ceci impliquait aussi de ne pas traduire de poèmes dont les mondes textuels ne pouvaient pas être relocalisés : « Je veux dire qu’on ne pourrait pas avoir de sonnet sur le Pape Leo XII ou quelque chose de semblable dans le dialecte de Yorkshire […] parce que ça serait complètement incongru » (ibid.). Ainsi, puisque la voix aide à localiser les locuteurs dans des mondes textuels, ces traducteurs qui relocalisent ‘doublement’ voient la voix et le monde textuel comme des aspects inséparables d’un « monde du discours » cohérent – « le monde imaginaire […] évoqué lors de la lecture d’un texte » (Stockwell 2002, 92–93Stockwell, Peter 2002 Cognitive Poetics: An Introduction . London: Routledge.Google Scholar). Donc, de leur point de vue, seul un changement radical d’espace (d’Italie à l’Ecosse, par exemple) peut garder le monde du discours intact, conservant ainsi son pouvoir analogique.

La double relocalisation a des désavantages, bien sÛr. Pour certains traducteurs de poésie, changer des détails du monde textuel avec créativité fait perdre au poème son noyau essentiel (Jones 2011, 140Jones, Francis R. 2011 Poetry Translating as Expert Action . Amsterdam: John Benjamins.Google Scholar). En outre, même les mondes relocalisés du discours cible présentent encore des incohérences spatiales, puisque les lecteurs savent toujours que l’Ecosse de Neill, par exemple, est une analogie pour la Rome de Belli.

3.3.3Préserver le monde textuel du poème source

Préserver l’espace romain du monde textuel systématiquement permet d’éviter ces désavantages – comme dans O’Grady : « Mastro Checco, you call the Roman / conclave Pilate’s Praetorium » cité plus haut. Trois traducteurs qui procèdent de la sorte délocalisent le romanesco de Belli en anglais suprarégional. Par convention littéraire, les variétés suprarégionales ne donnent pas d’indications spatiales, leur permettant ainsi de représenter une langue étrangère dans un espace étranger. En outre, la cohérence du monde du discours obtenue entre les mondes textuels romains et la connaissance du monde du lecteur (que Belli écrivait à propos de Rome) compense la perte d’une voix locale du monde du discours. Ces trois traducteurs, cependant, normalisent également les éléments informels et qui rappellent la classe ouvrière urbaine du vernaculaire de Belli – bien que, comme le montre Stocks, ceux-ci peuvent être préservés tout en délocalisant le régionalisme du vernaculaire. Inversement, aucun des traducteurs ne préserve systématiquement les mondes textuels romains tout en utilisant automatiquement un(e) Voix/Ton informel(le) et une Voix/Communauté de la classe ouvrière, même si cette démarche n’aurait causé aucun conflit cognitif et n’aurait manqué de respect à aucune convention littéraire.

Un désavantage de la préservation des mondes textuels du poème source est que les lecteurs de traductions peuvent ne pas connaître les associations d’objets locaux tels que « Mastro Checco » ou les associations locales de certains objets communs à différentes cultures (la salade en tant que nourriture bon marché plutôt qu’en tant que nourriture saine, par exemple). Deux traducteurs (Williams et Stocks) ajoutent des notes de bas de pages ou des notes de fin qui expliquent ces associations, bien que ceci augmente l’effort cognitif demandé au lecteur.

3.3.4Les mondes textuels mixtes

Il est intéressant de noter que l’approche la plus populaire au monde textuel est ‘mixte’ (5 traducteurs sur 11 : Figure 7). Stocks, par exemple, conserve les noms de lieux (e.g. Palazzo DoriaBelli 2007b, 18–19 2007b Tutti I Sonetti Romaneschi , ed. by Marcello Teodoni. http://​www​.intratext​.com​/IXT​/ITA1554/. Accessed December 15 2012.) tout en relocalisant la plupart des noms de personnes (e.g. Antonio Ulivo → Anthony Green, 38–39) ; alors que Garioch conserve beaucoup de noms propres tout en relocalisant beaucoup d’autres objets (e.g. salade → kail [‘légumes’] – 1983, 231). Cette approche fait prendre le risque de donner des indications spatiales contraires (e.g. Rome vs. l’Ecosse). Une interprétation possible serait de la voir comme la construction d’un monde textuel hybride, dans lequel des objets romains et des connaissances extratextuelles indiqueraient que les objets de l’espace cible sont des analogies pour des objets romains, ce qui rend aussi les sens associatifs accessibles aux lecteurs cibles. Ainsi, pour les lecteurs écossais, des légumes cuisinés sont plus crédibles que de la salade en tant que plat pour personnes pauvres, mais des objets de l’espace source en plus (e.g. drappie wine [‘verre de vin’], vers 11) indiquent que kail ‘représente’ quelque chose de différent mais de tout aussi frugal dans l’original de Belli.77Les Cavoli (‘choux’) apparaissent dans d’autres sonnets écrits par Belli, justifiant davantage cette analogie (commentaire d’un critique anonyme).

Ces cinq traducteurs avec leur Monde textuel/Espace mixte préservent aussi la/le Voix/Ton informel(le) et au moins quelques indications de la Voix/Communauté rappelant la classe ouvrière du romanesco de Belli – comme le font les deux traducteurs qui relocalisent doublement. Pour la plupart des traducteurs (7 sur 11), par conséquent, faire écho à la voix source informelle et rappelant la classe ouvrière est si important qu’ils sont prêts à relocaliser au moins une partie des caractéristiques du monde textuel – sans doute pour que les narrateurs et personnages « parlent de manière authentique » dans des mondes textuels qui ont un sens pour les lecteurs. Ceci implique que certains traducteurs donnent la priorité à des effets littéraires créatifs (ici, la voix et les sens associatifs) – et que d’autres donnent la priorité à la sémantique du monde textuel. Pour ces derniers, faire fonctionner les traductions comme des poèmes dans une langue cible semble le plus important, même si cela implique l’adaptation des mondes textuels du poème source.

3.4La forme poétique, la voix et les mondes textuels

Les effets littéraires d’un poème traduit dépendent aussi de sa forme poétique. Il est intéressant de constater que les décisions concernant la forme, la voix et l’espace sont liées entre elles.

3.4.1La forme poétique

Les approches des traducteurs vis-à-vis de la Rime et du Rythme ont des corrélations positives (ρ .75, Figure 5).

Figure 8.

Forme : comptes des productions

[Traductions : (1) Mise en parallèle (forme fixe), (2) Mixte, (3) Divergence (vers libre) Au-dessus, de haut en bas : Forme/Rythme, Forme/Rime]

Figure 8.

La mise en parallèle pour la forme poétique de Belli est populaire (Figure 8). Six traducteurs utilisent un Rythme régulier, dont cinq utilisent aussi la Rime complète, comme avec les pentamètres iambiques rimés de Stock (Belli 2007a, 13 2007a Sonnets . Translated by Mike Stocks. Richmond: Oneworld Classics.Google Scholar) : « My poor old granny leaves her spinning wheel / and pokes the fire when daddy gets back late, / and sets the table for the little meal / we’ll sit down to. There’s not much on the plate. » [« Ma pauvre vieille mamy laisse sa roue / et attise le feu quand papa rentre tard, / et met la table pour le petit repas / nous nous y assiérons. Il n’y a pas grand-chose dans l’assiette. »] Seulement deux traducteurs divergent aussi bien du Rythme que de la Rime et utilisent le vers libre, comme dans O’Grady : The Sacred College of Cardinals 88D’après Er Zagro Colleggio (2007b, no. 504) de Belli : « Li Cardinali fanno er Papa, e ‘r Papa / fa, cquann‘è Ppapa lui, li Cardinali: / però sò ccome ravanello e rrapa, / come stivali e ppelle de stivali. »: « The cardinals make the Pope and the Pope, / after his election, makes the cardinals ; / they’re like radish and horse-radish, / like boots and leather. » [« Les cardinaux élisent le Pape et le Pape, / après son élection, élit les cardinaux ; / ils sont comme le radis et le raifort, comme les bottes et le cuir. »]

Dans la Figure 5, le Monde textuel/Espace a des corrélations négatives avec la Rime (ρ .84) et le Rythme (ρ .61), tandis que la/le Voix/Ton a des corrélations positives avec la Rime (ρ .80). Ceci donne une troisième échelle, vaguement liée à l’échelle Voix+Espace de la Section 3.3.1 :

  1. d’un côté, les traducteurs recréent la Rime, le Rythme et le Ton informel de Belli (mise en parallèle) dans un Monde textuel/Espace complètement ou partiellement relocalisé (divergence) ;

  2. à l’autre extrême, les traducteurs convertissent la Rime, le Rythme et le Ton informel de Belli en vers libre anglais à la voix neutre à formelle (divergence), tout en préservant son Monde textuel/Espace romain (mise en parallèle).

On pourrait appeler cela une échelle de Texture Poétique, comme développé ci-dessus.

3.4.2Rendre la voix et le son

Il a été argumenté ci-dessus que les traducteurs qui préservent la voix informelle dans les mondes textuels relocalisés mettent la priorité sur l’ ’authenticité de la voix’. Cependant, ils mettent aussi la priorité sur la forme poétique – peut-être parce qu’ils veulent d’abord transmettre la texture poétique de Belli, avec la voix et la forme comme dimensions clés. Comme le dit Stocks :

Belli écrit des sonnets. Les sonnets ont un mètre, les sonnets ont des rimes, les sonnets ont une volta. Et ensuite bien sÛr […] il y a le ton et le langage de ses poèmes […] Alors je voulais essayer d’écrire des traductions qui seront des sonnets anglais, de sorte qu’ils auront un mètre anglais. Ils seront rimés.(interview avec le présent auteur)

Ce souci de la texture ne dépend pas seulement de la relocalisation du vernaculaire de Belli (la Rime et le Rythme ne sont pas en corrélation avec Voix/Espace : Figure 5). Garder le Ton informel est cependant crucial pour ces traducteurs ; en outre, ceci préserve le contraste de Belli entre la voix socialement subversive et la forme traditionnelle.

3.4.3Le vers libre et la voix standard

Les traductions en vers libre de poèmes rimés et rythmés peuvent être vues de deux façons différentes. D’un point de vue négatif, elles abandonnent la forme originale. Certains voient celles-ci comme une manière d’éviter le risque de « trahir » ou de « falsifier » la sémantique source lorsqu’on trouve des rimes (Lefevere 1975, 58–59Lefevere, André 1975 Translating Poetry: Seven Strategies and a Blueprint . Assen: Van Gorcum.Google Scholar ; Bly 1983, 44–45Bly, Robert 1983 The Eight Stages of Translation .Boston, MA: Rowan Tree.Google Scholar). Cette démarche implique la considération de la forme comme secondaire par rapport au contenu et la texture plus large, comme quand O’Grady écrit que ses traductions « n’ont pas la forme de sonnets à proprement parler mais essayent de rendre la même atmosphère et de rendre le sens » des sonnets de Belli (1977, 95). Cette croyance coïncide avec la préservation des mondes textuels sources des traducteurs en vers libres. Ces traducteurs, cependant, abandonnent aussi le ton informel de la source : O’Grady convertit ainsi le vernaculaire de Belli en anglais standard. L’« atmosphère » contenue dans la texture n’est, par conséquent, pas prioritaire en pratique.

D’un point de vue positif, le vers libre, en tant que la forme poétique dominante moderne anglo-écossaise, a sans doute un statut culturel analogue au sonnet italien du 19ème siècle. La traduction en vers libre, par conséquent, peut être vue comme une relocalisation culturelle. Combinant cependant celle-ci avec la voix neutre à formelle qui était dominante dans la poétique de la culture cible, risque de situer les traductions dans le courant moderniste de la fin du 20ème siècle. Ceci remplace le contraste subversif de Belli entre la voix vernaculaire et la forme traditionnelle par une harmonie moins subversive entre la voix et la forme qui sont toutes les deux socialement dominantes.

4Conclusion

Plus un cas d’étude contient de « reproductions », mieux il représente la réalité (Yin 1993, 39Yin, Robert K 1993 Applications of Case Study Research . London: Sage.Google Scholar). Cette étude présente donc, avec ses onze reproductions de traducteur-production, un aperçu préliminaire des approches des traducteurs de poésie par rapport à la voix régionale – comme décrit ci-dessous.

4.1La voix régionale et le genre

Cette étude confirme prudemment la proposition de la Section 1.1 selon laquelle les approches des traducteurs à la voix régionale peuvent varier avec le genre. Ces traducteurs de poésie adoptent un éventail plus large d’approches que pour les autres genres, surtout en prose. En particulier, la relocalisation (rare en prose) apparaît comme courante, tandis que la normalisation dans une langue standard suprarégionale (dominante en prose) n’est qu’une option parmi d’autres. La concision de la poésie, comme il a également été proposé dans la Section 1.1, peut en effet avoir son importance ici. Puisque ces traducteurs ont l’impression que les voix relocalisées devraient parler dans des mondes textuels partiellement ou complètement relocalisés, relocaliser le monde textuel d’un sonnet de 14 vers est beaucoup moins considérable que relocaliser le texte d’un roman de 300 pages, par exemple. Également, les ‘normes de relations’ définissant les relations prévues entre la source et la cible (Chesterman 1997, 69Chesterman, Andrew 1997 Memes of Translation . Amsterdam: John Benjamins.Google Scholar) peuvent varier entre les genres. Ainsi les traducteurs de poésie se voient sans doute autoriser une plus grande liberté que les traducteurs de prose ou de littérature dans l’adaptation créative des mondes textuels, probablement parce que copier la sémantique du poème source en respectant les contraintes de la forme poétique est notoirement difficile.

Un large éventail de réponses à la voix régionale est possible dans le théâtre. Les traducteurs de poésie, cependant, ont plus de raisons de relocaliser que les traducteurs de théâtre, ce qui conduit à se demander si la relocalisation pourrait être plus courante en poésie. Les traducteurs de Belli ont relocalisé afin de rendre la textualité de la source, et/ou afin de promouvoir une identité commune avec le public cible. Les rapports de traductions de théâtre, par contre, ont tendance à souligner cette dernière possibilité, comme c’était le cas de la relocalisation des pièces québécoises de Tremblay en écossais (Bowman and Findlay 2004Findlay, Bill 2004“Editor’s Introduction.” In Frae Ither Tongues: Essays on Modern Translation into Scots, ed. by Bill Findlay, 1–12. Clevedon: Multilingual Matters.Google Scholar Bowman, Martin, and Bill Findlay 2004“Translating Register in Michel Tremblay’s Québécois Drama.” In Frae Ither Tongues: Essays on Modern Translation into Scots, ed. by Bill Findlay, 66–83. Clevedon: Multilingual Matters.Google Scholar).

4.2Les approches poétiques

4.2.1Les espaces à problèmes et la texture poétique

Une autre raison pour ces contrastes, de nouveau comme proposée plus haut, est que la voix régionale du poème source n’est pas abordée en tant qu’élément isolé, mais plutôt dans un espace problématique plus large. Dans cet espace, les traducteurs cherchent des solutions convaincantes qui rendent le ‘noyau essentiel’ du poème source. Différents points de vue concernant ce que pourrait être ce noyau, cependant, donnent lieu à différentes décisions. Certains traducteurs de Belli, faisant écho à plusieurs analyses publiées (e.g. Folkart 2007Folkart, Barbara 2007 Second Finding: A Poetics of Translation . Ottawa: University of Ottawa Press.Google Scholar ; Jones 2011Jones, Francis R. 2011 Poetry Translating as Expert Action . Amsterdam: John Benjamins.Google Scholar), voient la texture – provisoirement, la forme poétique et la voix – comme essentielle, ce qui implique d’être prêt à trouver un compromis sur le contenu du monde textuel. Les autres, faisant écho à d’autres analyses (e.g. Lefevere 1975Lefevere, André 1975 Translating Poetry: Seven Strategies and a Blueprint . Assen: Van Gorcum.Google Scholar ; Bly 1983Bly, Robert 1983 The Eight Stages of Translation .Boston, MA: Rowan Tree.Google Scholar ; Jones ibid.), voient les mondes textuels sources comme essentiels – bien que ceci implique l’abandon de la texture poétique, et pas seulement trouver un compromis sur celle-ci. Ceci fait ressortir le débat ancestral entre la forme et le contenu dans la traduction de poésie, tout en suggérant que la forme, avec la texture poétique, fait partie intégrante d’une préoccupation plus large. Selon les résultats de Jones (ibid.), selon lesquels le jeu de langues, la rime et le rythme d’un poème source stimulent des approches traductionnelles similaires, la « texture » pourrait être étendue afin de contenir un jeu de langues en plus de la structure sonore et de la voix – ainsi que peut-être d’autres aspects de la communication poétique « para-sémantiques » à propos desquels des recherches complémentaires sont nécessaires.

La texture est un moyen fondamental de réaliser la « fonction poétique » du langage de Jakobson : un « accent sur le message en lui-même » par le biais de la « promotion de la palpabilité des signes » ([1960] 1988, 37ff). Notons que ces traducteurs orientés vers la texture étaient en désaccord quant à savoir si une telle palpabilité – le caractère ‘ancien’ de la langue et des mondes textuels de Belli – était essentielle, puisque celle-ci n’était pas en corrélation avec les variables principales de l’étude.

Dans tous les cas, cette étude suggère que les traducteurs qui mettent la priorité sur la texture peuvent voir des indications spatiales d’une voix régionale comme faisant partie, ou ne faisant justement pas partie, du noyau à recréer ; mais les traducteurs qui mettent la priorité sur le contenu ont tendance à abandonner toutes les indications de la voix régionale. Ces trois approches sont développées ci-dessous.

4.2.2La texture poétique et le vernaculaire régional

La voix littéraire régionale comporte de multiples indications. En plus de l’espace, elle peut indiquer le statut social ou le type de discours, par exemple, et par conséquent servir des buts multiples : caractérisation, humour, critique sociale, etc. (Lane-Mercier 1997, 46Lane-Mercier, Gillian 1997“Translating the Untranslatable: The Translator’s Aesthetic, Ideological and Political Responsibility.” Target 9 (1): 43–68. DOI logoGoogle Scholar ; Määttä 2004, 322Määttä, Simo K 2004“Dialect and Point of View: The Ideology of Translation in The Sound and the Fury in French.” Target 16 (2): 319–339. DOI logoGoogle Scholar ; Ramos Pinto 2009, 290–292Ramos Pinto, Sara 2009“How Important Is the Way You Say It? A Discussion on the Translation of Linguistic Varieties.” Target 21 (2): 289–307. DOI logoGoogle Scholar). Elle peut aussi servir des buts plus larges, politiques, littéraires ou sociaux : e.g. promouvoir le statut littéraire d’une variété régionale, ou mettre l’accent sur la manière dont l’écrivain et le lecteur partagent leur identité. Les traducteurs de Belli mettant la priorité sur la texture ont reconnu ceci, mais ont suivi deux moyens alternatifs de traduire l’intraduisible, c’est-à-dire de trouver des équivalents dans la langue cible pour des voix spécifiques à un espace source.

Certains traducteurs ont perçu toutes les indications de la voix source comme cruciales, et ont par conséquent utilisé une voix dans une langue cible avec des indications analogues : locales, informelles et rappelant la classe ouvrière urbaine. Vu que la voix locale (p. ex. le dialecte de Yorkshire) indique conventionnellement son propre espace local, cela impliquait aussi de relocaliser les mondes textuels sources afin d’indiquer le même espace. Donc, ces traducteurs ont ouvertement transgressé la norme implicite de relation qui s’applique même à la poésie (Jones 2011, 179Jones, Francis R. 2011 Poetry Translating as Expert Action . Amsterdam: John Benjamins.Google Scholar), selon laquelle les mondes textuels source et cible devraient se correspondre approximativement. Ceci est un autre argument en faveur du point de vue selon lequel l’engouement pour transmettre la texture a pour conséquence de rendre les normes de relation plus flexibles en poésie que dans la plupart des autres genres (ibid.).

D’autres traducteurs mettant la priorité sur la texture ont utilisé la stratégie de la gestion des pertes en déconstruisant la voix source en sous-éléments, abandonnant son élément local intraduisible tout en conservant ses éléments traduisibles informels et rappelant la classe ouvrière urbaine. Délocaliser les indications locales de la voix enlève le besoin de relocaliser l’espace du monde textuel : le monde textuel et l’auteur peuvent donc, en principe, rester dans le même espace cognitivement cohérent du pays source. En outre, les normes de relation sont largement maintenues, puisque seulement une indication parmi d’autres (le caractère local de la voix) est perdue. Néanmoins, un souci de l’‘authenticité’ du poème cible – la logique qu’il est plus probable que Jack parle de l’anglais informel plutôt que Caccemmetti, par exemple – a tenté de tels traducteurs à transgresser ces normes plus ouvertement en construisant un espace du monde textuel hybride.

4.2.3La normalisation et les normes littéraires

Pour le troisième groupe de traducteurs, qui met la priorité sur le contenu, l’idéal est de recréer les mondes textuels sources à l’identique. Donc, en plus du caractère local de la voix, ils abandonnent aussi la rime – ce qui menace l’équivalence de la sémantique superficielle tout en permettant la concordance sommaire du monde textuel (Jones 2011, 169Jones, Francis R. 2011 Poetry Translating as Expert Action . Amsterdam: John Benjamins.Google Scholar). Ce recul vers le traduisible est justifiable à l’aide des normes de relations, avec des gains au niveau du contenu qui compensent une perte au niveau de la texture. Cependant, ils abandonnent également des aspects traduisibles de la texture (le rythme ainsi que les indications de la communauté de la voix source et de ton), lesquels ne doivent pas nécessairement représenter des entraves à l’équivalence sémantique.

Puisque ce groupe contient seulement une minorité de traducteurs de Belli, ceci soutient du moins partiellement l’affirmation selon laquelle les traducteurs littéraires normalisent souvent la texture source (e.g. Berman [1985] 2000Berman, Antoine (1985) 2000 “Translation and Trials of the Foreign.” Translated by Lawrence Venuti. In The Translation Studies Reader, ed. by Lawrence Venuti, 284–297. London: Routledge.Google Scholar ; Allén 1999Allén, Sture ed.1999 Translation of Poetry and Poetic Prose . Singapore: World Scientific.Google Scholar ; Venuti 2000 2000“Translation, Community, Utopia.” In The Translation Studies Reader , ed. by Lawrence Venuti, 468–488. London: Routledge.Google Scholar). Ceci est communément considéré comme problématique. Allén décrit la normalisation comme « une menace constante » (29), supposant un phénomène plus large qu’un ‘recul vers le traduisible’ : ainsi les traducteurs peuvent aussi normaliser la voix régionale involontairement, ou comme une tactique plus prudente que de risquer de s’exposer aux critiques à cause de décisions stylistiques trop marquées. Un autre facteur pourrait être le manque d’assurance en tant qu’auteur écrivant dans des voix non-standard.

Dans la poésie anglophone de la fin du 20ème siècle, l’utilisation du vers rimé écrit en dialecte était largement réduite aux pamphlets de bas étage à ‘intérêt local’ et aux journaux régionaux, et le vers libre en langue standard était la forme dominante. Donc, en termes de normes littéraires, convertir les poèmes de Belli de la première à la deuxième forme les fait passer de la périphérie au centre. Ceci implique pourtant la « violence ethnocentrique » de la domestication (Venuti 1995, 310Venuti, Lawrence 1995 The Translator’s Invisibility . London: Routledge. DOI logoGoogle Scholar). Ici, le fait d’empêcher les lecteurs cibles de se rendre compte de l’altérité interculturelle et intra-culturelle de la source renforce respectivement l’hégémonie des discours dominants, et l’illusion que les normes littéraires de la culture cible sont universellement valides plutôt que liées à une culture spécifique.

Cependant, les normes littéraires ne sont ni monolithiques, ni statiques. D’une part, les traductions de Belli écrites dans un vernaculaire et une forme fixe sont plus ouvertes à l’altérité de la source. D’autre part, elles s’adaptent à des changements récents de la poésie anglo-écossaise, vers l’adoption de formes poétiques libres et fixes, de références à la haute culture et à la culture populaire, et à la voix standard et régionale – comme dans V de Tony Harrison ([1984] 1987, 235–249)Harrison, Tony (1984) 1987  Selected Poems . 2nd ed. London: Penguin.Google Scholar ou dans Cabaret McGonagall de W. N. Herbert (1996)Herbert, W.N. 1996 Cabaret McGonagall . Newcastle: Bloodaxe.Google Scholar.

4.3La créativité et la voix régionale

Des changements créatifs dans la traduction de poésie surviennent souvent à des « points résistant à la recréation » (Jones 2011, 180Jones, Francis R. 2011 Poetry Translating as Expert Action . Amsterdam: John Benjamins.Google Scholar). Ici, le manque de rimes ou de jeux de langues équivalents à ceux du poème source dans la langue cible oblige les traducteurs à soit faire preuve de créativité et changer la sémantique du poème source, soit abandonner la sémantique ou la complexité de la texture. Cette étude ajoute un autre élément qu’il est impossible de récréer : la voix régionale. Elle montre également que les changements créatifs ne sont pas uniquement sémantiques : ceux engendrés par la voix régionale sont d’abord de l’ordre de la texture (e.g. du romanesco à l’écossais), avec des changements sémantiques (e.g. de La Storta à Balmapaddie) comme deuxième conséquence. De tels changements de texture n’en sont pas moins créatifs, i.e. originaux et appropriés (Sternberg and Lubart 1999Sternberg, Robert J., and Todd I. Lubart 1999“The Concept of Creativity: Prospects and Paradigms.” In Handbook of Creativity, ed. by Robert J. Sternberg, 3–15. Cambridge: Cambridge University Press.Google Scholar) : l’écossais indique un espace original par rapport au romanesco, tout en respectant la norme traductionnelle de la correspondance à l’original (Holmes 1988, 50Holmes, James S 1988 Translated! Papers on Literary Translation and Translation Studies . Amsterdam: Rodopi.Google Scholar) en préservant les indications d’espace local du romanesco.

En outre, cette étude confirme que les changements créatifs provoqués non pas par des éléments impossibles à recréer, mais par le souhait des traducteurs d’obtenir un poème cible efficace et cohérent (e.g. CaccemmettiLoverboy Jack dans une traduction non relocalisée), se produisent plus occasionnellement que souvent (Jones 2011, 169Jones, Francis R. 2011 Poetry Translating as Expert Action . Amsterdam: John Benjamins.Google Scholar). Elle confirme aussi que certains traducteurs n’ont pas la volonté de faire des changements créatifs, et considèrent l’abandon de la complexité poétique comme un moindre mal (Jones 2011, 180Jones, Francis R. 2011 Poetry Translating as Expert Action . Amsterdam: John Benjamins.Google Scholar ; Federici 2011, 11Federici, Federico M. 2011“Dialects, Idiolects, Sociolects: Translation Problems or Creative Stimuli?” In Translating Dialects and Languages of Minorities, ed. by Federico M. Federici, 1–20. Berne: Peter Lang.Google Scholar). La distinction entre le traducteur qui crée et celui qui abandonne n’est cependant pas rigide. Les indications multiplex fournies par la voix régionale source donnent accès à une série d’options, entre la créativité radicale des traducteurs qui relocalisent doublement et l’abandon radical de la texture de ceux qui normalisent en vers libre. Entre eux se trouve une position intermédiaire sur laquelle se situent les traducteurs pour lesquels l’informalité et/ou la forme poétique est prioritaire, ou qui combinent dialecte et langue standard, ou style vulgaire et neutre.

4.4Les idéologies et les identités

La voix d’un poème traduit, avec le contenu du monde textuel et les propos des paratextes (e.g. les introductions du traducteur ou de l’éditeur), peut aussi indiquer des problèmes d’idéologie et d’identité. Ici, les idéologies et identités propres aux traducteurs peuvent avoir un effet sur leur compréhension et médiation des indications du poème source – inévitablement, selon certains érudits (e.g. Lane-Mercier 1997, 48Lane-Mercier, Gillian 1997“Translating the Untranslatable: The Translator’s Aesthetic, Ideological and Political Responsibility.” Target 9 (1): 43–68. DOI logoGoogle Scholar). Quant à savoir si les lecteurs de traductions réalisent quelles indications sont celles du poète source, et lesquelles sont celles du traducteur, ceci dépend probablement de si la médiation est manifeste et marquée. Avec des approches fortement marquées comme la relocalisation de Rome à Yorkshire de Howard, la connaissance des lecteurs que Belli n’était pas un homme de Yorkshire rend l’identité de Howard visible – et par conséquent, sans doute, sa motivation idéologique à proposer les pauvres de Yorkshire comme une analogie aux pauvres de Rome. Par contre, quand Andrews normalise avec de la langue standard non marquée (e.g. a short Salve Regina), son identité et idéologie sont moins visibles. Néanmoins, elles jouent toujours un rôle certain. Si les lecteurs savent grâce aux paratextes que le vernaculaire du poème source est devenu de l’anglais standard dans le poème cible, ceci fait encourir le risque d’indiquer que les identités régionales rappelant la classe ouvrière ont moins de valeur universelle que les identités suprarégionales qui ne sont pas liées à la classe ouvrière.

De plus, la manière dont les lecteurs de poésie interprètent les indications idéologiques dépend en partie de leurs propres idéologies – par exemple, des interactions entre leurs idéologies d’identité spatiale et celles exprimées dans les poèmes. Plus ces poèmes manifestent leur appartenance régionale, plus ils détiennent le potentiel d’inclure ou d’exclure des lecteurs. C’est ainsi que beaucoup de lecteurs écossais des traductions de Garioch peuvent obtenir une analogie ‘familière’ au monde de Belli et une validation de leur propre caractère écossais. Cependant, beaucoup de lecteurs non écossais peuvent se sentir exclus des deux, surtout s’ils ne peuvent pas facilement lire en écossais. Mais jusqu’où devrait-on s’attendre à ce que la voix locale plaise aux lecteurs qui ne sont pas des locaux ? Si l’écossais est une langue à part entière, ceci implique un nombre suffisant de lecteurs dont l’écossais est la langue maternelle, sans avoir besoin d’écrire pour des lecteurs dont la langue maternelle est différente. Un tel argument est moins satisfaisant avec des dialectes tels que l’anglais australien ou l’anglais de Yorkshire, qui ne revendiquent pas de statut de langue littéraire et les lecteurs que ceci implique. Les traductions de Dale et de Howard semblent donc également destinées à des lecteurs non locaux – comme sous-entendu par leur publication sur un site web italien et dans une revue londonienne respectivement (Belli 2002–2008 2002–2008“The Sonnets of Giuseppe Gioachino Belli.” Translated by Peter Nicholas Dale, Anthony Burgess, and Harold Norse. I sonetti di Giuseppe Gioachino Belli . http://​‌digilander​.libero​.it​/‌ggbellimosetti​/testi​/‌elenco​_sonetti​.htm. Accessed December 20 2012. ; Howard 2005Howard, Paul 2005“Four Versions of Sonnets by Giuseppe Gioachino Belli.” Modern Poetry in Translation . 3 (3): 48–52.Google Scholar), et parce qu’elles semblent largement compréhensibles pour les lecteurs non locaux.

4.5Les voix et les indications

La nature dense et multiplex de la poésie permet à seulement quelques mots de donner un ensemble complexe d’indications. Le style et la voix, cependant, ne transmettent « rien d’explicite, [mais] un ensemble d’implicatures (parfois assez subtiles) » (Boase-Beier 2004, 29Boase-Beier, Jean 2004“Knowing and Not Knowing: Style, Intention and the Translation of a Holocaust Poem.” Language and Literature 13 (1): 25–35. DOI logoGoogle Scholar). Donc, des lecteurs différents – les traducteurs lisant des poèmes sources, ou des lecteurs cibles lisant des traductions – peuvent interpréter la même voix différemment (Pilkington 2000, 103–104Pilkington, Adrian 2000 Poetic Effects . Amsterdam: John Benjamins.Google Scholar). En outre, les traducteurs ont des compétences et préférences divergentes – concernant jusqu’où ils veulent ou sont capables d’écrire en vernaculaire local, par exemple. Ils peuvent donc offrir un large éventail d’analogies pour la même voix source.

Pourtant, on peut assumer que les traducteurs de poésie qualifiés, comme les poètes originaux, donnent, selon les termes de Coleridge, « une semblance de vérité suffisamment forte pour procurer […] cette suspension volontaire de l’incrédulité » qui permet au monde irréel d’un poème d’être vécu comme une réalité (1817, XIV). Ceci permet aussi aux lecteurs de traductions de percevoir les voix des poèmes cibles comme s’ils étaient des voix des poèmes sources (Woodham 2006, 406Woodham, Kathryn 2006“From Congolese Fisherman to British Butler: Francophone African Voices in English Translation.” In Translating Voices, Translating Regions, ed. by Nigel Armstrong, and Federico M. Federici, 392–408. Rome: Aracne.Google Scholar), où l’écossais ou l’anglais standard devient un dialecte romain du 19ème siècle, par exemple. Pourtant, comme le fait remarquer Federici (2011, 15)Federici, Federico M. 2011“Dialects, Idiolects, Sociolects: Translation Problems or Creative Stimuli?” In Translating Dialects and Languages of Minorities, ed. by Federico M. Federici, 1–20. Berne: Peter Lang.Google Scholar, proposer une analogie créative et non normalisée pour une voix régionale source donne au traducteur « le même statut que l’auteur ». C’est-à-dire que les deux voix sont entendues par le lecteur, leur permettant à toutes les deux d’avoir des effets littéraires dans la culture cible.

4.6Recherches supplémentaires

Inévitablement, cette étude soulève de nouvelles questions qui valent la peine d’être explorées dans de futures recherches. Des études d’autres cas de poètes sources ‘régionaux’ enrichiraient notre connaissance de la manière dont les voix poétiques non standard sont traduites, et de la manière dont ces traductions sont lues – surtout si elles rassemblent les points de vue des lecteurs cibles, ou si elles investiguent les effets des agendas poétiques des traducteurs-poètes eux-mêmes, de leur statut en tant que traducteur, et des relations de pouvoir ou de familiarité entre les cultures source et cible.

Remerciements

Un grand merci à Bill Herbert, Brian Holton, Federico Federici, Hanneke Jones, Laura Leonardo, aux deux critiques anonymes et à l’éditeur de la revue pour leur apport inestimable à cet article.

Cette traduction fait partie de mon travail de fin de cycle en « Langues et littératures modernes : orientation germanique » à l’Université de Namur (année académique 2014–2015). Je tiens à remercier le promoteur du projet, M. Dirk Delabastita pour son suivi et ses conseils.

Note de la traductrice

1.Après avoir fait l’analyse, j’ai trouvé un autre traducteur, dont la production correspond à un profil identifié dans cette étude.
2.‘Complètement ou en grande partie’ permet à une caractéristique de dominer une production sans pour autant exclure son contraire, p. ex., donner des indications correspond à la classe ouvrière, mais aussi des mots formels de temps à autre.
3.D’après La spiegazzione der Concrave (2007b, no. 1383) de Belli : « Er Concrave de Roma, Mastro Checco, / tu lo chiami er Pretorio de Pilato. »
4.‘Nous les autres’, i.e. ‘nous-mêmes’ : une expression clé dans les discours des Romains de Trastevere portant sur l’identité (Laura Leonardo, communication personnelle).
5.D’après Caino (2007b, no. 184) de Belli : « Ma cquer vede ch’Iddio sempre ar zu‘ mèle / e a le su’ rape je sputava addosso, / e nnò ar latte e a le pecore d’Abbele, // […] e allora, amico mio, tajja ch’è rosso. »
6.D’après Er matto da capo lo (2007b, no. 157) de Belli : « Sai chi ss’è rriammattito? Caccemmetti : / e’r padrone, c’ha ggia vvisto la terza, / l’ha mmannato da Napoli a la Verza, / pe rrifajje passa ccerti grilletti. »
7.Les Cavoli (‘choux’) apparaissent dans d’autres sonnets écrits par Belli, justifiant davantage cette analogie (commentaire d’un critique anonyme).
8.D’après Er Zagro Colleggio (2007b, no. 504) de Belli : « Li Cardinali fanno er Papa, e ‘r Papa / fa, cquann‘è Ppapa lui, li Cardinali: / però sò ccome ravanello e rrapa, / come stivali e ppelle de stivali. »

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Adresse de correspondance

Francis R. Jones

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